Âgé de 86 ans et retraité depuis 2019, Alekos Fassianos (ici photographié en 2018) a côtoyé Matisse et Picasso dans sa jeunesse, à l'époque de ses études en France, à l'École nationale des Beaux-Arts.
 
Âgé de 86 ans et retraité depuis 2019, Alekos Fassianos (ici photographié en 2018) a côtoyé Matisse et Picasso dans sa jeunesse, à l’époque de ses études en France, à l’École nationale des Beaux-Arts. LOUISA NIKOLAIDOU / AFP

En attendant l’ouverture en 2022 d’un espace dans le centre d’Athènes, la maison du peintre de 86 ans, fourmille encore des œuvres inspirées de son amour de la Méditerranée.

Dans une rue calme bordée d’orangers, à l’abri des regards et du tumulte d’Athènes, une demeure étrange se distingue quelque peu des habitations voisines. À l’entrée de la maison à trois étages, semblable à tant d’autres du quartier de Papagou, en périphérie de la capitale, un discret profil en bronze et deux oiseaux emblématiques indiquent le repaire d’Alekos Fassianos. Matisse des temps modernes, connu dans le monde entier pour ses personnages de la mythologie et du folklore grecs, son foyer regorge de curiosités et d’œuvres insoupçonnées. Une collection qui formera le cœur du musée à son nom dont l’ouverture est attendue à l’automne 2022.

«Bienvenue dans l’univers de Fassianos, sourit sa fille Viktoria. C’est une maison d’artiste, un musée où l’on vit». «Tout a été conçu et créé par lui, à la main, petit à petit comme un petit paradis», explique-t-elle à l’AFP en désignant fièrement les tringles à rideau, les poignées de porte, les luminaires, le canapé au design contemporain, la couleur ocre des plâtres. La maison ne se dévoile que rarement. On admire les vitres ornées d’un soleil en fer forgé, les mosaïques au sol ou encore la rampe d’escalier en feuilles de bambou sculptées. Même les murs aux courbes douces ont été voulus sans le moindre coin «pour ne pas se faire mal».

 
L’oeuvre d’Alekos Fassianos fixe, sur toile, papier ou céramique, sa vision de la Grèce et de sa palette de couleurs vives. LOUISA GOULIAMAKI / AFP

Dans une pièce voisine, le peintre se repose. Alekos Fassianos vit encore chez lui, mais son état de santé ne permet pas de lui parler, précise sobrement la jeune femme. Il a eu 86 ans le 25 octobre. Le même anniversaire que Picasso. Mais contrairement au maître espagnol, le Grec a posé son pinceau depuis 2019. Ses feuilles d’or et ses pinceaux végètent, depuis, à l’étage, dans un tiroir de son atelier.

La maison n’en regorge pas moins de peintures, de lithographies, de céramiques et de tapisseries, accrochées ou adossées aux murs, dont certaines rejoindront le futur musée Fassianos, dont l’ouverture a été annoncée en septembre dernier. «Mon père a tout prévu, mais il en a laissé la réalisation aux historiens du futur, il n’a jamais voulu prendre de responsabilités», ajoute Viktoria Fassianou, à propos du musée qui ouvrira ses portes à l’automne. Le vieil immeuble du centre d’Athènes qui l’abritera avait été racheté il y a une trentaine d’années par l’artiste. Réaménagé de fond en comble par son ami architecte Kyriakos Krokos (1941-1998), le bâtiment était utilisé depuis 1995 comme un espace de vie et de réception par Alekos Fassianos. Il accueillera sous peu une exposition permanente brossant l’ensemble de la carrière du peintre, ainsi que des événements temporaires et des programmes éducatifs.

«Ce que je connais, c’est la Grèce»

Le musée pourrait attirer un nouveau flot de touristes dans ce quartier d’Athènes, car de Paris à Munich, de Tokyo à São Paolo, les œuvres de Fassianos ont fait le tour du monde. L’artiste, lui, tournait plutôt autour d’une même idée fixe. «La grécitude a toujours été son inspiration, de la mythologie à la Grèce contemporaine», souligne sa femme Mariza Fassianou. Où qu’il aille, Fassianos voulait garder sa «vision», ses origines et ses souvenirs. «Il a toujours cru qu’un artiste doit créer avec ce qu’il connaît, observe-t-elle. Il disait: “ce que je connais, c’est la Grèce, le ciel est bleu, alors je peins en bleu, je connais les îles grecques, la mer, les vagues…” ».

 
La maison de l’artiste grec Alekos Fassianos, à Athènes, recèle une généreuse collection de peintures, de céramiques et autres tapisseries. Une partie de ces œuvres gagneront le musée consacré à l’artiste qui ouvrira ses portes dans la capitale grecque, à l’automne 2022. LOUISA GOULIAMAKI / AFP

Le peintre qui inventait lui-même ses couleurs, a aussi beaucoup peint en rouge, la teinte qui recouvrait la chambre de son enfance pour «donner une impression de chaleur», ou en ocre, inspiré par l’artisanat traditionnel grec. Sur ses toiles et dessins éparpillés à son domicile, échantillon de sa prolifique production, on retrouve le cycliste qu’il croisait enfant en allant à la plage, la chevelure redressée par le vent telle que décrite dans ses lectures de la mythologie, les poissons de Kea, son île favorite, les vagues rondes comme dans l’Odyssée, l’oiseau aux ailes déployées, autant de signatures emblématiques de son œuvre.

Le coloriste aux multiples talents a partagé sa vie entre la Grèce et la France, où il a étudié la lithographie à l’École nationale des Beaux-Arts et côtoyé écrivains et peintres, à l’instar de Matisse et de Picasso qu’«il admirait beaucoup». «Alekos disait que tout commence par quelque chose», rapporte son épouse, mais il se défendait d’avoir été inspiré par un artiste plutôt qu’un autre et préférait se revendiquer de 77 influenceurs. Refusant toutes les contraintes, «Alekos a toujours voulu rester libre et faisait ce qu’il voulait», traçant, sans ombre ni perspective, ses personnages puisés dans la mythologie, l’art byzantin ou naïf. Dans sa maison de Papagou, Fassianos travaillait à même le sol ou griffonnait sur le coin d’une table. Et «il détruisait ce qu’il n’aimait pas», soupire sa femme, «je pleurais, mais il savait mieux que moi ce qu’il fallait garder». L’œuvre restante sera accueillie dans les prochains mois au nord de l’Acropole, dans le quartier de la gare de Larissa.